Thursday, May 3, 2018

SŒUR LEOCADIA KANA (BUTARE, BURUNDI)


Soeur Leocadia Kana 

En tant que SMNDA, comment as-tu été une femme apôtre dans les différents lieux où tu as été envoyée?
Dans le premier pays autre que le mien où j’ai été nommée, encore très jeune, je n’ai pas pu faire ce pourquoi j’étais nommée, alors que j’étais qualifiée pour le travail.   
A l’intérieur de ma communauté de plus de 8 sœurs, la sœur « cuisinière » est tombée gravement malade.  Tout en me sachant « nulle » dans ce service, je me suis proposée pour la remplacer (j’étais la moins prise).  Ce fut une découverte. M’occuper de mes sœurs, être attentive aux besoins des unes et des autres, m’a donné beaucoup de joie et de motivation dans et pour ce service. Ma joie m’a fait écrire au Conseil général de l’époque :« Quand je serai âgée, n’hésitez pas à me nommer à la cuisine quelque part ! »

Dans une communauté des SMNDA africaines à Kinshasa,mon vécu m’a transformée, a façonné le meilleur en moi comme SMNDA.  Nous avons voulu mettre l’accent sur trois aspects : 
 Vivre une communauté SMNDA selon le rêve de Mère Marie-Salomé.  « On vous appelle des sœurs, soyez-levraiment. »  Sincèrement, dans toutes nos différences et dans notre jeunesse avec ses limites, j’ai vécu une fraternité pleine de vérité, d’honnêteté, de franchise, une fraternité telle que je n’en avais pas encore vécu et n’a d’ailleurs plus vécu dans la suite. Dès notre première réunion communautaire, nous avons pris un engagement ferme de ne jamais parler de sa sœur derrière son dos, ni aux autres, ni même aux supérieures. L’aimer assez pour oser lui parler en face, le plus fraternellement possible ; sinon, il faut fermer sa bouche. Nous nous sommes demandé : au fait, quand je parle de ma sœur aux autres, derrière son dos, sans lui avoir rien dit d’abord, qu’est- ce que je cherche au juste ?  

Vivre à fond la coresponsabilité en tout, se sentant concernée par la vie, la mission de la communauté, la vie et la mission de la Congrégation. Tous les services étaient assurés par chacune à son tour, y compris l’animation spirituelle de la communauté. Celle qui se reconnaissait moins douée dans tel ou tel service (ex. les comptes) pouvait l’exprimer ; celle qui s’en sortait un peu mieux l’aidait.

Mettre en pratique l’ « être avec », se faire proche des gens, était un aspect important à vivre à l’époque.  Notre maison était, par choix, dans un quartier populaire plutôt pauvre. A ce moment, c’était une innovation dans le style de vie de la vie consacrée. Être vraiment « Emmanuel » au milieu des gens, faisant des choses ensemble avec eux, comme la propreté de notre rue, cela a énormément touché les gens. Ceux-ci se sentaient à l’aise avec nous, ils nous abordaient sans se gêner. Même une prostituée, qui venait chercher des clients dans le bar à 2 m de notre maison, se sentait libre de frapper à la porte à l’improviste, pour venir causer et nous dire franchement ce qu’elle vivait et pourquoi. Plus tard, nous avons pu l’aider à subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants d’une manière digne d’une mère. Elle a pu abandonner son ancien style de vie ; c’est du moins ce qu’elle nous disait !!! 

Je me sentais vraiment comblée de vivre ainsi ; j’avais l’impression que pour les gens, notre présence faisait une différence dans leur vie. C’est durant cette expérience que j’ai intégré certaines valeurs des SMNDA.  J’ai développé l’amour et la fierté d’être SMNDA, le sens d’appartenance, Je me suis sentie concernée par tout ce qui fait la vie de la famille, le goût pour la mission dans ses différents changements d’accents, de priorités, etc. C’est à partir de cette expérience que, quand quelque chose ne va pas dans la communauté, la question qui me vient d’abord, c’est : qu’est je fais, que puis-je faire pour que les choses soient comme c’est souhaitable ?

Le service dans la formation :C’est avec beaucoup de résistances que j’ai accepté ce service. Cependant, malgré mes limites, en essayant de le vivre dans la foi et l’abandon, en regardant et en écoutant le Seigneur, c’est une seconde expérience qui m’a fait faire des pas importants dans mon propre cheminement. Si durant les années de ce service à différentes étapes, je n’ai pas vraiment aidé grand monde, moi par contre, j’ai beaucoup gagné. J’ai vite compris que le meilleur moyen d’initier, de soutenir quelqu’un dans un chemin, c’est d’abord de faire soi-même ce chemin, puis de le faire avec.

Service, dans un contexte d’hostilité interne et externe :avertie, j’ai pu accepter cette nomination en connaissance de cause. En me laissant porter par le don de notre charisme dans ses différents aspects (amour sans frontières, le tout à tous, attachement fort au Christ, amour des peuples africains, être avec, être pont…), j’ai pu vivre dans ce contexte sans me sentir agressée, sans être bloquée par les premières attitudes et comportements hostiles. Au contraire, ils m’ont stimulée à me dépasser, à m’appuyer plus qu’avant sur les valeurs de notre charisme afin de tenir debout, d’avancer sur un terrain mouvant, rocailleux. 

Devant l’hostilité (préjugés) que des gens manifestaient à mon égard les 2 premières semaines, il m’a été donné de l’accepter, de me mettre à leur place, de les comprendre. Ainsi, je pouvais faire face à leur hostilité, me sentant intérieurement libre, confiante, sans me laisser intérieurement agresser par les expressions de leurs préjugés. En l’espace d’un mois, des gens divers avaient perçu que je ne suis pas comme ils s’imaginaient. Certains ont commencé à venir dans la communauté pour causer, exprimer le désir d’avoir une bible, un chapelet, partager de douloureuses expériences vécues durant leurs fuites devant les combats. 

J’abordais les gens avec une sincère confiance et foi en leur bonté, me refusant d’entrer dans l’engrenage de la méfiance à priori.  Cela s’est avéré payant. Contrairement aux craintes de certaines personnes, j’étais très bien accueillie dans les bureaux. Les services demandés à l’administration (passeports…) m’étaient rapidement rendus. Durant le peu de temps que j’ai vécu dans ce milieu, en collaboration avec une de mes sœurs et une femme, nous avons pu faire se rencontrer et avoir une activité commune des groupes de femmes qui ne se fréquentaient pas, ce que certaines personnes n’avaient pas cru faisable ou possible. Cette expérience de mission en milieu hostile a été une grâce, une confirmation dans ma vocation SMNDA.

Au Rwanda, aujourd’hui, mission dans une localité périphérique :cette localité est non loin de la ville de Butare. Bien qu’étant le berceau de l’évangélisation par les Missionnaires d’Afrique et des SMNDA, on y rencontre beaucoup de pauvreté matérielle, humaine surtout, beaucoup de délinquance tant chez des adultes que chez des jeunes. Dans ce quartier, un groupe de femmes très pauvres s’est mis ensemble pour se relever et lutter ensemble contre leur très grande pauvreté. Ayant appris l’existence de ce groupe, avec quelques membres de notre communauté, nous l’avons visité à 2-3 reprises. Après ces visites, j’ai senti un appel, qu’au nom de la communauté, je puisse me faire proche de ce groupe, afin de l’accompagner dans son combat, car c’en est réellement un !  Il est connu que de tels groupes ne tiennent pas s’ils ne sont pas accompagnés.

Notre « raison d’être » m’est d’une grande inspiration et me stimule : « …convaincues que l’Afrique a une importante contribution à apporter au monde, nous choisissons de participer à en faire une réalité ».  Oui, même les pauvres ont une contribution importante à apporter !

Cet accompagnement consiste à les stimuler dans la foi et la confiance en elles-mêmes d’abord. Les éveiller à la solidarité, à l’ouverture au-delà d’elles-mêmes, et même à être peu à peulevain dans toute la pâte de leur quartier. Travailler, lutter ensemble en se laissant guider par les valeurs humaines, par les valeurs de leur culture, par les valeurs de leur foi, est très important, sinon, elles ne peuvent pas aller bien loin.   S’ouvrir à la richesse de la diversité (les catholiques sont minoritaires), faire de leurs diversités une complémentarité est aussi un facteur de progrès, ensemble.

L’importance de se mettre debout ensemble, dans les différentes dimensions, et avec les autres, en s’appuyant sur ce qui est dit plus haut, tout cela est un message qui trouve peu à peu son chemin dans le cœur de beaucoup. Le chemin est très long et est très rude. Mais le groupe a la volonté de le parcourir. Le but de la présence de la communauté, à travers moi, c’est de les soutenir dans cette avancée difficile. Ce qui est encourageant, c’est de voir que quelques-unes ont déjà fait un bon bout de chemin dans différentes dimensions de leur vie, et qu’elles se sentent stimulées à tenir bon.

De quelle action prophétique te souviens-tu plus particulièrement ? Peux- tu l’expliquer ?
L’action prophétique qui me vient à l’esprit est celle-ci à Kinshasa :
La fraternité sans frontière.  « C’est à l’amour…… que tous vous reconnaîtront comme mes disciples. » Vivre ce que nous avons à vivre, heureuses, enharmonie malgré nos différences (Congolaises, Rwandaise, Burundaise), sans supérieure, c’était une chose qui étonnait beaucoup les gens. Chaque fois que quelqu’un voulait parler à la supérieure, il fronçait les sourcils en entendant dire qu’il n’y en avait pas. Les gens nous disaient : « Comment est-ce possible que 7 femmes, jeunes de surcroît, puissent vivre ensemble en harmonie, heureuses, sans supérieure ? »

Être un peuune présence « Emmanuel » dans le quartier, au milieu des gens modestes. L’ouverture, la disponibilité dans l’accueil de tous, sans distinction (pauvres, riches, enfants), tout cela touchait beaucoup les gens, et ils le disaient. Cela donnait de la joie dans le quartier. Ils trouvaient que pour des religieuses, c’est une nouvelle manière de vivre qui avait une influence sur leur vie. Elles sont là « avec nous », « pour nous » disaient-ils. Cela nous poussait à sortir de nos aises, à essayer d’être disponibles pour les gens qui venaient vers nous de près ou de loin. Par le simple fait d’être là au milieu des gens, nous voyions, entendions, savions beaucoup de ce que les gens vivaient, sans qu’on doive venir nous le raconter. Cela stimulait notre « être-avec » et enrichissait nos prières. Nous avons dû apprendre à garder l’équilibre entre le temps pour être disponible aux personnes de l’extérieur, le temps à consacrer au Seigneur, et le temps pour nous-mêmes. 

A Butare :Se rendre proche d’une population périphérique ;croire, malgré tout, en ses capacités à s’ouvrir à une vie digne que le Seigneur, le Bon Berger, offre à toute personne créée à l’image de Dieu. Stimuler l’ouverture et l’entraide entre les pauvres eux-mêmes d’abord ; créer des pontsentre les pauvres et les privilégiés pour que tous puissent partager les richesses de leur diversité. Repérer des personnes prêtes à devenir peu à peu levain dans la pâte.

Quand je pense à mon expérience de la vie en communauté internationale et interculturelle, voici ce qui me vient à l’esprit :

« Nous vivons ensemble sans nous être choisies. C’est l’amour du Christ et de l’Afrique qui nous lie dans une même vocation. » 
Avec cet article de nos Constitutions qui m’est d’une grande inspiration, l’imagequi me vient est celle d’un bouquet de fleurs. D’une part, une seule fleur, cueillie par le fleuriste en vue de faire un beau bouquet, peu importe sa beauté et sa qualité individuelles, sa valeur n’apparaît qu’une fois intégrée dans le bouquet, une fois que sa beauté sert à rehausser la beauté et l’harmonie de tout le bouquet.  D’autre part, chaque fleur, chaque plante choisie par le fleuriste pour faire partie d’un bouquet, peut être insignifiante elle seule ; mais une fois intégrée dans le bouquet, elle devient indispensable pour la beauté et l’harmonie du bouquet, tel que le fleuriste le veut et l’aime.

La joie : c’est quand chacune consent à se maintenir honnêtement sur la voie de la fraternité vraie, à regarder chacune comme sa sœur, même s’il y a des moments de défaillance qui sont inévitables. Pour moi, je me sens satisfaite avec l’effort quotidien de vivre comme des sœurs, peu importe les hauts et les bas, peu importe les tensions, mêmes sérieuses. L’essentiel, l’important, c’est qu’il y ait un fond d’affection comme dans une famille. Essayer d’éviter ce qui sent la fausseté, l’hypocrisie, le faire semblant (pour sauvegarder les apparences) d’être sœur.

C’est quand chacune essaie de faire siennes la vie et la mission de la communauté, qu’elle se sent concernée par les soucis, les difficultés, les succès et aussi les déboires de chacune dans la part de la mission qui lui est confiée. C’est quand, à cause de cela, l’information, la concertation, le rendre compte, l’encouragement, le soutien mutuel, l’interpellation aussi, deviennent des réalités que chacune consent à vivre, quels qu’en soient les défis, parce que c’est pour le plus grand bien de la vie et de la mission commune.

En d’autres mots, la joie, c’est quand là où une communauté est, que les sœurs soient 3,2, même seulement 1 dans une communauté avec d’autres, la présence de cette communauté a un impact sur le milieu, quand sa présence fait la différence à cause de l’apport de l’originalité, de la richesse de notre charisme.

Le défis ?  La souffrance ?  
Ce n’est ne pas arriver à gérer une situation où la mission est prise en otage. Je veux dire : quand le « ensemble » est impossible, non pas parce que c’est difficile, mais parce qu’il y a un choix délibéré du « chacun pour soi etDieu pour tous ». Quand il y a l’option de faire les choses comme cela passe par la tête, sans référence à aucune de nos valeurs ; quand il y en a une qui opte pour ne rien dire de ce que les autres devraient entendre, de ne pas entendre ce que les autres auraient à dire. Dans de tels cas, la concertation, la collaboration… tout ce qui rend possible une mission commune sont dévalorisées. C’est ainsi que la mission confiée à une pareille communauté ne donnera que peu ou pas de fruits espérés, aura peu ou pas d’impact sur le milieu, alors que les besoins sont là, nombreux.

Que voudrais-tu nous dire à nous, jeunes Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique encore à l’étape des vœux temporaires ?
Tout ce que je peux vous dire, chères Sœurs, c’est d’exprimer un rêve, un souhait que je formule pour moi-même aussi. Durant ce temps des études surtout, à côté de la qualité de la formation intellectuelle que la Congrégation vous offre, puissiez-vous avoir le souci de vous donner les moyens de mettre à jour continuellement votre formation et votre cheminement spirituel ! Que votre croissance au niveau intellectuel et humain aille de pair avec la croissance dans la connaissance et l’attachement au Seigneur, l’attachement à la Congrégation, l’amour de toute mission qui vous sera confiée, quelle qu’elle soit, avant même de la connaître ! 

Si vous accueillez le don de l’amour pour Lui et pour la mission que le Seigneur vous donne au jour le jour, vous verrez que la richesse de votre imagination ainsi que votre audace apostolique et missionnaire vous surprendront, une fois sur le terrain apostolique et dans la communauté, tels qu’ils seront. Ainsi, dans X années, nous n’aurons plus comme dans le passé, à nous inquiéter ou à nous trouver handicapées par le peu de ressources humaines que nous aurons. Votre qualité de vie religieuse et missionnaire fera toute la différence pour la vie et la mission de la Congrégation. Le petit nombre que vous serez, ce sera comme les 5 bons painset les quelques petits poissonsavec lesquels le Seigneur nourrira des foules, à l’intérieur de la Congrégation et dans sa mission.

Interviewée par Sr Marie Anuarite Amani Ndatabaye
Nairobi, Kenya 

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